Justice Prud'homale : qui veut noyer son chien l'accuse de la rage

Publié le par Intercentre CFE-CGC Alcatel-Lucent

Justice Prud'homale : qui veut noyer son chien l'accuse de la rage

Voilà une expression qui semble tout à fait appropriée au sort que Monsieur Macron veut réserver à la justice prud'homale dans le cadre de son projet de loi discuté en ce moment même à l'Assemblée Nationale.

Monsieur Macron considére que la justice prud'homale participe au BLOCAGE de l' ECONOMIE française et doit à ce titre être réformée en profondeur. Comme si rendre justice à un salarié, qui a été licencié au mépris des règles de droit, était une entrave au développement économique !
On oscille là entre le ridicule et l'affligeant, mais les poncifs et la démagogie ne peuvent être à l'origine de réformes efficaces et justes.

Empiétant largement sur les prérogatives du Garde de Sceaux et se croyant peut-être déjà à Matignon, Monsieur Macron, Ministre de l' Economie, a donc décidé d'inclure la réforme de la justice prud'homale dans sa loi éponyme, et cela sans aucune concertation avec les partenaires sociaux.

Les objectifs officiels affichés par Monsieur Macron  sont de réduire les délais et de réduire le taux d'appel. Au vu du contenu du projet de loi, on peut légitimement se demander si l'objectif n'est pas en réalité d' affaiblir significativement la justice prud'homale au nom de sa vision ultra-libérale de l'économie.

Mais revenons en aux objectifs officiels de Monsieur Macron. .

Les délais ont en réalité 3 causes principales :

  • l'absence de procédure contraignante de mise en état des affaires : lors de l'audience de jugement les affaires sont presques toujours renvoyées 1 fois, voire 2 fois, les avocats n'étant pas prêts
  •  l'unicité d'instance de la procédure prud'homale : cette spécificité de la procédure prud'homale contraint le demandeur à exposer en une seule fois la totalité de ses griefs, y compris ceux pour lesquels il manque encore d'éléments de preuve, car il ne pourra pas engager une nouvelle procédure (1)
  • le manque de greffiers, de personnels administratifs et de juges départiteurs

Le taux d'appel élevé a quant à lui  pour cause principale l'unicité d'instance qui multiplie les demandes et donc les risques d'appel, chaque décision sur une demande supplémentaire pouvant être un  motif d'appel.

Or Monsieur Macron, qui n'a probablement jamais mis les pieds dans un Conseil de Prud'hommes, ne s'attaque à aucune de ces causes dans son projet de loi.

Passons maintenant en revue les 3 principales dispositions du volet prud'homal de la loi Macron

1) Possibilité de renvoi de l'affaire dés la phase de conciliation vers la formation de départage présidée par un magistrat professionnel

Cette disposition, qui réduit les conseillers prud'homaux au rôle de simples figurants et constitue une 1ère étape vers l' échevinage généralisé, s'attaque au fondement même de l'institution prud'homale : le paritarisme qui fait toute la richesse de cette juridiction. Dans un procés prud'homal, malgré la complexité du code du Travail et l' abondance de la jurisprudence, la principale difficulté à laquelle sont confrontés les juges n'est pas la qualification juridique des faits mais l'établissement de la réalité des faits : entre la version blanche d'une partie et la version noire de l'autre partie, quelle est la nuance de gris la plus proche de la réalité ? Les juges issus de l'entreprise privée et du secteur d'activité(2) concerné sont les mieux placés pour poser les questions pertinentes et pour apprécier la réalité de ce qui leur est exposé.
L'équilibre des sensibilités est garanti par la composition du bureau de jugement qui comporte 2 conseillers prud'homaux employeurs et 2 conseillers prud'homaux salariés

Par ailleurs les délais moyens vont obligatoirement s'allonger par ce recours plus fréquent au juge départiteur. Aujourd'hui il est déjà prévu de faire appel au juge départiteur, mais uniquement lorsque qu'une décision majoritaire n'arrive pas à se dégager en délibéré(3). Bien que le Code du Travail prévoie un délai maximum d' 1 mois pour le renvoi en départage, dans la pratique ces délais s'échelonne entre 2 mois et 2 ans en fonction des Conseils de Prud'hommes. La raison est due quasi-exclusivement au manque de juges départiteurs.

2) Possibilité de renvoi de l'affaire en cas d'échec de la conciliation vers une formation restreinte de 2 conseillers, qui devra statuer dans les 3 mois

Cette possibilité concerne les litiges portant sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire,...soit 90% des affaires.
Là aussi Monsieur Macron est à coté de la plaque, si son objectif est de réduire les délais. La justice prud'homale ne manque pas de conseillers mais de greffiers. Et tant qu' il n' y aura pas de procédure contraignante de mise en état des affaires, vouloir imposer un délai de 3 mois  est totalement illusoire.

Par ailleurs, s'il est acceptable d'avoir une formation restreinte en référé dont les décisions sont provisoires et en conciliation dont les décisions appartiennent aux parties, il n'en est pas de même en bureau de jugement. Une formation restreinte à 2 conseillers au lieu de 4 va fragiliser les décisions prises et augmenter le recours au juge départiteur. Il faut garder à l'esprit qu' actuellement il n'est pas rare que les décisions prises en délibéré le soient à une majorité de 3 voix sur 4.

3) Formation initiale des conseillers prud'homaux

Le projet de loi Macron prévoit une formation initiale obligatoire de 5 jours qui pourra être assurée par l' Ecole Nationale de la Magistrature. Là aussi on frise le ridicule si l'on compare cette durée de 5 jours ...aux 7 années de formation des magistrats professionnels (4 à 5 ans pour le master en droit + 31 mois à l' ENM).
C'est pourtant un vrai sujet à traiter sérieusement. Si certains conseillers salariés de par leurs mandats syndicaux et certains conseillers employeurs de par leurs fonctions RH ont une bonne connaissance du Code du Travail, ce n'est pas le cas de tous. Et tous ont besoin d'être formés au Code de Procédure Civile et aux spécificités de la procédure prud'homale.
Le rapport Lacabarats dont s'inspire en partie le projet de loi Macron préconisait lui une formation initiale de 15 jours. C'est vraiment le minimum.

On le voit : le projet Macron ne résout pas les difficultés de la justice prud'homale, il les aggrave et  remet  en cause ce qui fait la force de cette juridiction : le paritarisme.

Le fonctionnement des Conseils de Prud’hommes n’a rien à faire dans un projet dit « de relance de l’économie » mais relève d’une concertation des partenaires sociaux avec le Ministère de la Justice au sein de l’enceinte légitime qu’est le Conseil Supérieur de la Prud’homie.

Dans ce cadre, la CFE-CGC est prête à s' engager dans une modernisation de la justice prud'homale avec 4 priorités :

  • le renforcement de la conciliation prud'homale
  • une meilleure formation des juges prud'homaux
  • le refus de l'échevinage même dissimulé
  • le maintien de la section Encadrement.

 

(1) sauf pour les nouvelles demandes liées à des évènements survenus postérieurement ou découverts postérieurement à la saisine du Conseil de Prud'hommes

(2) les conseils de prud'hommes sont organisés en sections par grand secteur d'activité (Industrie, Commerce, Agriculture, Activités diverses) plus une section transversale Encadrement compte-tenu des nombreuses spécificités des cadres (forfait jour ou heures, rémunération variable, clause de non-concurrence,...etc)

(3) le recours au juge départiteur concerne moins de 20% des affaires

 

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I
Dernière minute : les députés socialistes ont voté un amendement instaurant un barème indicatif concernant l'indemnité accordée par les Conseils de Prud'hommes à un salarié pour licenciement abusif.<br /> Nous considérons là qu'il s'agit là d'un premier pas vers le barème obligatoire voulu par le MEDEF, qui remettrait en cause un pilier fondamental de la justice : le droit à la réparation intégrale de son préjudice.<br /> Comme le souligne très justement le Syndicat de la Magistrature : &quot;Certes, il s'agissait sans doute, aussi, en prévoyant un barème d'indemnisation, de tenter de limiter le nombre d'appels formés en<br /> considération du seul quantum de dommages intérêts accordés en première instance. Cet objectif de « réduction de la demande » qui tend, pour résoudre le sous-effectif des magistrats, à tarir le recours au juge est absolument inacceptable dès lors qu'il aboutit à exonérer les employeurs – et priver les salariés – du principe de la réparation intégrale du préjudice qui est au coeur de notre droit de la responsabilité.&quot;
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