Externalisations et application de l'article L1224-1 du Code du Travail
Le plan Shift ne prévoit pas moins de 11 projets d'externalisation en France. Une nouvelle solution miracle, si l'on en croit la direction. Et pourtant la longue liste de nos déboires sur nos externalisations passées auraient du l'inciter à la prudence.
Suivant les projets, la direction prévoit tantôt d'externaliser l'activité sans transférer les salariés, tantôt d'externaliser l'activité en transférant les salariés chez le repreneur. Et lorsque les salariés sont transférés, ce n'est pas sur la base du volontariat. Non la direction préfére le mode coercitif par application de l'article L1224-1 du Code du Travail. Après le PSE coercitif, les mobilités forcées, voilà les transferts autoritaires. Et pas question que le salarié refuse son transfert. Selon la jurisprudence un tel refus produit les effets d'une démission privant le salarié de son emploi, de toute indemnité et du droit aux Assedic.
Selon notre analyse, ce ne sont pas les règles de droit qui ont conduit la direction à décider d' appliquer ou non l'article L1224-1 du Code du Travail. Non ce qui a été déterminant cela a été la volonté du repreneur de reprendre ou non les salariés.
" Un L1224-1 cela s'habille" pour reprendre l'expression du DRH France, décidément bien sûr de lui. A la CFE-CGC nous sommes beaucoup plus modestes : nous nous en tenons aux dispositions du Code du Travail et à l'abondante jurisprudence sur ce sujet. Et qu'en est il justement ? Le lecteur trouvera ci-dessous un résumé en 3 points :
1) L' évolution de la jurisprudence
L’article L1224-1 correspond à l’article anciennement codifié L122-12 :
« Lorsque que survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et l’entreprise. »
Ces dispositions sont d’ordre public.
Conçu a l’origine par le législateur pour protéger les salariés, l’esprit de cet article a été progressivement détourné par le patronat français depuis plus de 30 ans à des fins d’externalisation d’activités. Le juge est saisi de moins moins pour faire appliquer l’article afin de protéger l’emploi des salariés transférés et de plus en plus pour contester l’application de l’article afin de s’opposer au tranfert des salariés.
Le juge a pris lentement conscience de cette dérive, ce qui a induit une jurisprudence très abondante, parfois contradictoire avec des revirements inattendus. Ceci rend souvent incertaine l’issue d’un procés portant sur l’application de cet article. Cependant, on peut estimer que globalement la jurisprudence a évolué en vue de corriger les dérives induites par les comportements des employeurs.
2) Domaine d’application
Selon la jurisprudence, l’article L1224-1 s’applique lors de tout « transfert d’une entité économique autonome ».
La Cour de Cassation et la Cour de Justice des Communautés Européennes s’accordent aujourd’hui sur la définition de cette notion :
Il s’agit du « transfert d’ un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre ».
3) Le pouvoir d’appréciation du juge du fond
a) Le juge du fond est souverain pour apprécier si les conditions sont réunies pour l’application de l’article L1224-1, c.a.d. si l’objet du transfert est bien une « entité économique autonome ».
Pour cela , il va analyser l’ensemble des caractéristiques et des circonstances du transfert et évaluer un certain nombre d’éléments, qu’il est libre de pondérer en fonction du cas d’espèce.
Il va notamment s’attacher à répondre aux questions suivantes :
- l’activité a-t-elle conservé son identité et s’est-elle poursuivie chez le cessionnaire ?
- les moyens corporels ou incorporels nécessaires à l’exercice de l’activité ont-ils été mis à disposition du cessionnaire ?
- le personnel transféré dispose t’il d’un savoir-faire spécifique ?
- la clientèle de l’activité a-t-elle été transférée au cessionnaire ?
b) Le juge du fond est également souverain pour apprécier si un employeur a commis une fraude en transférant les salariés affectés à une activité sans avenir dans le seul but de se soustraire à ses obligations sociales.
La CFE-CGC analysera chaque projet d'externalisation séparément et émettra un avis favorable ou défavorable en CCE en fonction de l'intérêt économique de l'entreprise et des conséquences sociales pour les salariés concernés.
Dans le cas d'un transfert des salariés par application de l'article L1224-1, nous interrogerons les salariés concernés. Si une majorté d'entre eux se déclare défavorable au transfert et si les conditions d'application de l'article L1224-1 ne nous semblent pas réunies, alors nous saisirons le Tribunal de Grande Instance pour nous opposer au projet de transfert.
Si une majorité de salariés est favorable au transfert, alors nous laisserons faire, même si nous avons émis un avis défavorable en CCE sur le volet économique du projet. Cette position ne nous empêchera pas, le cas échéant, d'accompagner individuellement tout salarié qui voudra contester son transfert devant le Conseil de Prud'hommes.